[Tribune] Réforme de l’enseignement professionnel : ébriété idéologique et bordelisation !

Pascal VIVIER © SNETAA-FO

Le dernier ministre délégué à l’enseignement professionnel (Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué de l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002, ndlr) avait été reconnu de tous bords politiques et syndicaux comme un bon ministre pour son approche pratico-pratique et son autorité à faire plier une administration immuable quels que soient les ministres.

Avec la nomination de Carole Grandjean à l’Enseignement et la Formation professionnels, les acteurs du secteur s’attendaient au même choc des cultures au service des jeunes, des entreprises en mal de recrutements mais aussi des professeurs de lycée professionnel. Malheureusement l’histoire ne se répète pas quand bien même on espère parfois qu’elle vienne à bégayer.

La création de ce ministère par le Président de la République était un signe fort avec un large spectre d’intervention, un pied dans l’Éducation nationale, l’autre au ministère du Travail. Ce fut un réel espoir pour mettre fin à un labyrinthe de spécifications dans lequel seules quelques boites privées réussissent à trouver les failles pour faire leur beurre sur une jeunesse et une école en déshérence. « Remettre de l’ordre », c’était oublier que l’expression vous pointe immédiatement dans le camp des « conservateurs crypto-fascistes » quand « les progressistes » ont créé, eux, sous la houlette de Muriel Pénicaud, alors ministre du travail et transfuge du PS, un machin, « France Compétences », aux 12 milliards de déficits. Une gabégie par une politique de gribouille !

Un ministère dédié à l’enseignement professionnel nécessitait une excellente connaissance du secteur, une réelle approche hollistique de l’enseignement et de la formation professionnels, un diagnostique juste pour qu’enfin on apporte les réponses aux attentes nombreuses des familles, de leurs enfants, des entreprises et des professeurs. Cela obligeait à une réelle connaissance des entreprises, des jeunes orientés vers l’enseignement professionnel parce qu’ils sont souvent en échec au collège. Les connaître mais aussi les aimer ! En somme, ce ministère devait être porté par une forte personnalité qui entraîne avec elle et génère un engouement plus fort que tous les freins inhérents à une réforme. Tout cela pour servir une cause commune.

Huit mois après la création de ce ministère, le constat est au mieux amer ; il est des ministres qui seraient de toute évidence plus utiles à la Nation si on leur avait confié le portefeuille du « ministère des clenches et des portes ouvertes »… L’impéritie ne semblerait pas si grave si l’école n’avait pas besoin d’une prise de conscience de la nécessité de réformes et ce, plus encore pour les lycées professionnels. Et, au-delà, quand il s’agit de l’avenir de tout un pays qui souffre de choix politiques qui l’ont conduit à une désindustrialisation que tout le monde pleure.

Depuis la nomination de Carole Grandjean pour porter l’une des priorités du candidat Emmanuel Macron, elle a réussi ce qu’aucun autre ministre n’avait atteint en si peu de temps : une unanimité contre elle avec un zèle qui rendrait presque jaloux un Claude Allègre.

De provocation en provocation, avec un sens politique original, elle décide alors la création de quatre groupes de travail pour l’aider à savoir quoi faire pour l’enseignement professionnel et pour la sortir du pétrin dans lequel les boulangers malheureux ne l’ont pas jetée.

Ces quatre groupes de travail ont rendu leurs copies en accouchant de 150 préconisations plus surprenantes les unes que les autres : parfois elles enfoncent des portes ouvertes, d’autres sont ahurissantes d’une méconnaissance de lois que le premier mandat d’Emmanuel Macron a bâties (comme la loi Penicaud « liberté pour choisir son avenir professionnel »), d’autres encore qui agitent des chiffons rouges d’une grande dangerosité pour l’enseignement professionnel et ses personnels. Bien sûr, il lui fallut trouver des porteurs d’eau pour donner du sérieux avec quelques ambitieux embusqués qui, voulant s’adjoindre les faveurs de l’Elysee, se voient déjà en remplacement de la ministre dans l’éventualité d’un remaniement qu’on dit imminent. Ce sont des spécialistes par procuration : celui-là a un parent professeur de lycée professionnel, cet autre qui, en mal de sensations, a osé se rendre dans un ou deux lycées professionnels, d’autres faux caciques du système qui ont mis l’école dans l’état où elle se trouve. Ce sont des gens au profil impressionnant quand bien même ils n’y connaissent rien. Pour dire simple, c’est « j’en sais rien » qui parle à « j’en sais pas plus » de « je sais pas quoi ». Souvent inspecteurs généraux de l’éducation, du Sport et de la Recherche, ils savent mieux que les premiers concernés ce qui est juste et bon pour les autres. Des personnalités qui ont la capacité de jargonner au kilomètre. En lisant les 150 propositions, il est des moments qui nous font regretter les temps où l’industrie française produisait encore du paracétamol : la migraine est assurée !

S’il ne s’agissait pas de l’avenir des enfants des gens qui se lèvent tôt, des enfants des gilets jaunes, des enfants d’hommes et de femmes de ménage, des enfants des artisans et commerçants, des enfants qui n’ont pour patrimoine que l’École de la République alors on s’en émouvrait peu. La France manque pourtant cruellement de professionnels hautement qualifiés, nécessaires à notre quotidien ; on a même dit qu’ils étaient « essentiels » : ces métiers qui se comprennent souvent en un mot : boulanger, charcutier, cuisinier, soudeur, électricien, serveur, logisticien, comptable, secrétaire, plombier, vigile, maçon, mécanicien… Tous ces « métiers en tension » pour lesquels le premier employeur de France – l’artisanat et le commerce – peine à recruter.

Sous prétexte de « valoriser l’enseignement professionnel », ces palabres de technocrates avilissent les urgentes nécessités pour le pays : la place de l’école dans notre pays, ce qu’elle doit transmettre, avec quelle culture minimale qui assure du liant entre chaque citoyen (le fameux « vivre ensemble » dont on nous serine les oreilles sans s’en donner les moyens). De quel collège voulons-nous, quels lycées, quelles qualifications pour quels métiers de demain quand on sait que d’ici 2035, 80 % des métiers n’existent pas encore aujourd’hui ? De ces questions qui devraient être au cœur des débats, peu leur chaut. Les préconisations font fi des réalités du pays ancrées dans ses régions, sa culture, ses savoir-faire très français et des Français eux-mêmes. On laissera donc encore au bord du chemin toute une population de braves gens se sentant toujours plus niés, relégués, déclassés. On continuera l’orientation des enfants par l’échec à la sortie du collège car, les métiers, « c’est sale et ça sent mauvais ». Pourtant, on parlait jadis d’une « aristocratie ouvrière », essentielle au pays, travailleurs fiers du travail bien fait. Se donner un métier, c’était une ambition quand tout est fait actuellement pour surtout ne pas s’y destiner. On manque depuis de tant d’artisans pour réparer nos fuites d’eau, nos pannes d’électricité ou de personnes pour s’occuper au quotidien de nos anciens qu’on relègue loin, très loin… de tout.

Si l’enseignement professionnel est malade, il ne l’est ni de ses personnels qui sont, pour la plupart, issus de l’entreprise ni de ses élèves qui font tout pour s’en sortir en se qualifiant pour un métier. Il est malade de ces jargonneurs professionnels qui ont créé des appellations de diplômes dont personne ne sait, du premier coup, de quel métier il s’agit. L’Éducation nationale pullule d’acronymes, du bac pro ASSP (métiers des soins et de l’hygiène) aux bacs pro AGOrA (métiers administratifs), de pseudo-dénominations pédagogiques, d’un « référentiel bondissant » (ballon) à un « outil scripteur » (crayon)… qui alimentent les sarcasmes des médias envers l’institution et éloignent plus encore les entreprises de l’Ecole.

Ah ça, ils époustoufflent en charabie !

Au comble de l’absurde et de l’outrage, des recteurs et rectrices osent, comme en Languedoc-Roussillon, se moquer de ceux qui portent des créations de nouveaux diplômes (les fameux « métier d’avenir » dont personne ne précise de quels métiers il s’agit) comme, par exemple, la nécessaire création du diplôme de « conducteur de drones » quand on voit combien il est nécessaire dans le conflit ukrainien, que les forces de l’ordre le réclament, que les événements artistiques et sportifs le sollicitent autant que les entreprises de livraison. Même si nous y sommes habitués, cette condescendance envers l’enseignement professionnel et les métiers est devenue insupportable. Elle renvoie à la façon dont les employés de maison sont appelés par leur prénom quand ils doivent répondre par un « madame ». Ah… dure réalité et piètre bilan de décideurs chargés d’assurer à la société les fondements d’un avenir meilleur.

De colloques en conférences, de groupes de travail en circulaires indigestes pour n’importe quel quidam, sans mot dire, les entreprises ont compris qu’il ne servait plus à rien de perdre du temps avec ces spécialistes du vide ; elles montent leurs propres certifications et qualifications. Sur les cinq dernières années, France Compétences – le machin des progressistes qui assure un rond de serviette pour services rendus ou services à rendre – comptabilise près de 20 000 certifications et qualifications inscrites au RNCP (registre national des certifications professionnelles). En somme, 20 000  nouveaux diplômes créés à l’extérieur de l’éducation nationale quand l’École de la République, elle, n’en a créé… AUCUN !

Nos jeunes se sentent exclus d’un avenir rayonnant dans la start-up nation, discriminés par une orientation dénigrée. Les familles voient bien qu’on ne réserve pas le meilleur pour leurs enfants quand d’autres ont les moyens de mettre leurs rejetons dans des écoles réputées pour leur classicisme cher à Hannah Arendt. Et c’est le lycée professionnel qui est accusé de produire du décrochage quand il n’en est que le réceptacle. Les professeurs de lycée professionnel déploient pourtant des trésors d’ingéniosité pour remédier au collège unique qui ne réussit pas à inculquer aux enfants, jusqu’à l’âge de 15 ans, les bases scolaires minimales. Accuser les lycées professionnels de produire du décrochage scolaire est un mensonge et une insulte quand nous n’y pouvons souvent plus grand chose : à 15 ans, c’est parfois déjà trop tard. Sans compter que ces jeunes des lycées professionnels cumulent des difficultés sociales (les élèves aux IPS les plus faibles sont systématiquement en lycées professionnels). Nous réussissons quand même et malgré des moyens de plus en plus indigents, à les mener à un diplôme, à une poursuite d’études et à une insertion dans la vie active. En cela, nous répondons encore, seuls, ancrés dans un quotidien que le jargonnage nie, à l’objectif de former la Femme, l’Homme, la Citoyenne, le Citoyen, la Travailleuse, le Travailleur. Nos responsables politiques devraient déjà commencer par nous féliciter si ce n’est nous consoler, avant de nous accabler de maux dont nous ne sommes nullement responsables.

L’ascenseur social est cassé et personne ne semble avoir la réelle volonté de donner à l’enseignement professionnel les moyens de contribuer à sa réparation…

Le pays manque cruellement de salariés qualifiés, d’assistants-ingénieurs, d’ingénieurs. La réindustrialisation ne sera possible que si des salariés sont prêts pour participer à la réussite de nos industries. Le voilà, le constat partagé à partir duquel une réforme doit être portée. Elle ne s’entendra qu’après un débat clair aux objectifs intelligibles : de quelle école le pays a besoin ? Les professeurs de lycée professionnel sont prêts à s’engager pour l’avenir de notre jeunesse et pour l’avenir de nos artisans, nos commerçants, notre industrie.

Mais rendons à César ce qui est à Jupiter : c’est le Président de la République qui a voulu mettre un coup de projecteur sans pareil sur l’enseignement professionnel pendant sa campagne électorale.

Alors, tout cela pour cela ?

Je pleure tout ce temps perdu qui hypothèque l’avenir de nos entreprises et désenchante nos jeunes.

Le Président de la République est notre dernier espoir. Pour que « le pied dans l’école et le pied dans le travail » ne se transforme pas en pied dans la mouise et pied dans la tombe.

Saura-t-il entendre la supplique des professeurs de lycées professionnels et des chefs d’entreprise ?

Tribune de Pascal VIVIER parue dans ToutEduc.fr