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Les épreuves écrites du baccalauréat sont organisées à partir de lundi, un mois avant celles de la filière générale. Juin doit être consacré à un stage supplémentaire ou à un enseignement préparatoire aux études supérieures, mais cette réforme est entourée d’incertitudes.
Par Lucie Beaugé © Francetvinfo
Pour la première fois, les élèves de terminale de la filière professionnelle dérogent au traditionnel calendrier du baccalauréat, et ses épreuves écrites en juin. Ils planchent sur leur copie un mois plus tôt, à partir de lundi 12 mai. Une nouveauté introduite par la réforme du lycée professionnel, engagée par Emmanuel Macron en mai 2023 pour en faire une voie « d’excellence », et qui se poursuit deux ans plus tard. Avancer le bac doit permettre aux lycéens d’expérimenter à partir de fin mai un nouveau dispositif avec, au choix, un stage supplémentaire ou des « cours intensifs » pour préparer leur arrivée dans le supérieur. Mais ce chamboulement de calendrier n’a pas été sans conséquence pour les équipes pédagogiques, et suscite de nombreuses inquiétudes.
La formule est mathématique : sanctuariser six semaines en fin d’année scolaire pour ces nouveaux parcours a laissé six semaines de moins aux enseignants pour boucler le programme. « Je visite au moins trois bahuts par semaine. Contrairement au constat idyllique que le ministère nous vante, sur le terrain, je n’ai vu aucun établissement dans lequel ça se passe bien », s’agace Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, le premier syndicat chez les professeurs de l’enseignement professionnel. Il y a deux ans déjà, dans une unanimité rare, les syndicats s’étaient inquiété d’une « dégradation brutale » de la classe de terminale.
« On a survolé le programme durant l’année »
Pour Pascal Vivier, la perte de « précisément 169 heures de cours », non compensée par un allégement du programme, a fait souffrir les professeurs, qui n’ont pas le sentiment de « bien faire » leur travail. « Ils sont dépités, le moral dans leschaussettes », assure le syndicaliste. Un constat appuyé par Nicolas Bonnet, proviseur du lycée Henri-Brulle à Libourne (Gironde) et membre de l’exécutif national du SNPDEN-Unsa, un syndicat des personnels de direction de l’Education nationale. « Ils ont clairement été submergés, et une perte de sens s’est ajoutée à la fatigue », estime-t-il. Dans son établissement, il observe qu’un nombre inhabituel d’enseignants étaient en arrêt maladie avant les vacances de printemps.
Au lycée professionnel Julie-Daubié à Laon (Aisne), Fabien Mélanie s’est résigné à distribuer des polycopiés pour gagner en efficacité, ce qu’il ne faisait pas auparavant. « En histoire-géographie, le programme était déjà dense avant la réforme, explique cet enseignant, cosecrétaire académique du Snuep-FSU d’Amiens. J’ai fait le choix du polycopié avec l’espoir de pouvoir entrer dans le détail des cours. Mais on a quand même survolé des choses durant l’année. »
Isabelle Léger, proviseure au lycée Marie-Le-Franc à Lorient (Morbihan) et secrétaire académique du SNPDEN-Unsa de Rennes, regrette les répercussions sur les voyages scolaires, qui permettent aux jeunes en formation de développer des compétences, autant que lors d’un cours de mécanique ou de gestion. « Cette année, nous n’avons pas pu organiser des séjours pédagogiques à l’étranger pour nos élèves de terminale », déplore-t-elle. Une pratique jusqu’ici courante dans son lycée.
« Surtout, je crains un échec important lors des épreuves écrites du bac. Nos élèves ne sont déjà pas très scolaires », se projette Nicolas Bonnet. En 2024, d’après les tests passés en début de seconde, seuls 49,8% des élèves du professionnel avaient une maîtrise satisfaisante en français, et 37,4% en mathématiques.
Des lacunes qui risquent aussi d’avoir des conséquences au-delà du bac. « En entreprise, quand on fait des visites durant les stages, on nous fait déjà savoir que nos élèves ont des difficultés pour lire le mode d’emploi, argumenter face à un client, calculer des pourcentages », souligne Pascal Vivier.
« Nos élèves ont besoin de plus d’école et de mieux d’école. »
Pascal VIVIER, secrétaire général du SNETAA-FO à Franceinfo
Pour le ministère de l’Education nationale, au contraire, c’est passer davantage de temps en entreprise qui ferait du bien à certains de ces lycéens. Pour permettre d’aller « vers 100% d’insertion professionnelle », il mise ainsi sur un parcours différencié en fin d’année scolaire : pour les six semaines après le bac, les élèves du professionnel peuvent choisir entre un « parcours de préparation à la poursuite d’études supérieures », au sein du lycée, ou un « parcours de préparation à l’insertion professionnelle », sous forme de stage.
Un défi organisationnel en juin
Mais le premier parcours complique l’organisation des établissements au mois de juin, en particulier ceux qui sont centres d’examen pour les CAP et BTS. Selon les retours de terrain de Pascal Vivier, certains ont fait le choix de fermer le lycée durant cette période, soit une quinzaine de jours. Et ne pourront donc pas accueillir les élèves censés se préparer aux études supérieures. Isabelle Léger, de son côté, rapporte que son lycée sera ouvert en continu, mais que « beaucoup d’enseignants vont être occupés en juin à corriger des copies ou faire passer des oraux ». Elle craint de manquer de bras pour prendre en charge les terminales. Nicolas Bonnet, lui, a fait le choix de s’appuyer sur des intervenants extérieurs, comme France Travail et l’Urssaf.
Le manque de cadrage national n’aide également pas les proviseurs et enseignants à y voir clair sur le contenu de ces six semaines de cours. « C’est encore très flou. On réfléchit à ce qu’on pourrait leur proposer d’intéressant. Pour les élèves pour qui ce n’était pas obligatoire dans le cadre de leur bac, on proposera de passer le certificat SST [Sauveteur secouriste du travail]« , explique Isabelle Léger.
« On nous avait promis que des inspecteurs viendraient donner des exemples de cours à faire, ce qui n’a pas vraiment été tenu », note Pascal Vivier. Une situation qui varie en fonction des académies et des matières, complètent Isabelle Léger et Nicolas Bonnet. Selon le proviseur girondin, plusieurs de ses enseignants en gestion et en maths-sciences ont été aiguillés par des inspecteurs, qui leur ont notamment donné des « méthodes innovantes » pour faire classe.
Un stage supplémentaire difficile à programmer
Les équipes pédagogiques redoutent par ailleurs un fort absentéisme des élèves.« On sait déjà que certains vont s’évaporer pour commencer leurs jobs d’été plus tôt, ou bien pour rester à la maison », glisse Nicolas Bonnet. En filière générale, l’avancement de l’essentiel des épreuves écrites au moins de mars, durant l’année 2023, avait déjà permis de constater ce risque de relâchement, et l’Education nationale est revenue en arrière.
« S’il commence à faire beau et chaud, je ne donne pas cher du programme qu’on leur concocte pour juin. »
Isabelle Léger, proviseure du lycée professionnel Marie-Le-Franc à Lorient
à franceinfo
Reste le deuxième parcours, en entreprise. Selon l’Education nationale, une enquête menée en janvier et février montre que la moitié des lycéens souhaitaient partir en stage après le bac. Mais entre l’envie et la possibilité, il existe un décalage. « Les élèves ont du mal à trouver des lieux pour les accueillir », remarque Fabien Mélanie. Ces terminales de la filière professionnelle sont en effet en concurrence avec d’autres élèves, comme ceux de seconde générale et technologique. Dans son établissement, Nicolas Bonnet rapporte que, début mai, seul un tiers des élèves désireux de faire un stage avaient réussi à signer une convention.
Pascal Vivier s’interroge par ailleurs sur le sens réel d’un stage supplémentaire pour les élèves, alors que six semaines d’immersion en entreprise sont déjà obligatoires plus tôt dans l’année. Depuis qu’ils perçoivent une gratification, autre nouveauté de la réforme de cette filière, leur envie de gagner de l’argent peut prendre le pas sur d’autres motivations. « On parle de 100 euros par semaine en terminale. Pour nos élèves, dont la grande majorité sont issus d’un milieu défavorisé, ce n’est pas rien ! »
Il note aussi que ces stages ne pourront que très peu déboucher sur une embauche. « A 17 ans, vous ne rêvez pas d’aller bosser à l’usine, surtout quand il n’y a plus d’usine. » Le responsable du Snetaa-FO ajoute que les exigences de qualification ont évolué dans de nombreux domaines, comme « la comptabilité, avec un minimum de bac+3″.De plus en plus de lycéens du professionnel poursuivent donc leurs études et font des demandes sur Parcoursup. En 2024, 75% de ces bacheliers ont reçu au moins une proposition d’admission en BTS, selon l’Education nationale.
« J’espère qu’il y aura une vraie évaluation de la nouvelle année de terminale, et qu’on saura rectifier le tir si on voit que ça ne correspond pas au but annoncé », à savoir une meilleure employabilité des élèves à la sortie du lycée, déclare Isabelle Léger. Lorsqu’elle était ministre, Nicole Belloubet avait promis la création d’un« comité de suivi » de la réforme à compter de septembre 2024. Une instance qui n’a finalement jamais vu le jour, selon les syndicats. Contacté par franceinfo, le ministère de l’Education nationale n’a pas commenté.