[édito] Pendant que les champs brûlent…*

L’année 2024 s’annonce pétrie d’une colère qu’il faudra bien sortir pour renverser la table. Sur la nomination d’Amélie Oudéa-Castéra, tout a été dit. Le rôle de Marie Madeleine a déjà été pourvu et la contrition surjouée devient insupportable. Le discours de politique générale du Premier ministre ? « Chacun veut bien être vassal quand le suzerain est grand ! » Tout ressemble à une première de théâtre, médiocre, qui manque tout autant d’horizon, de grâce mais aussi de désinvolture. Tous les médias ont beau être obnubilés par le génie de sa personne mais n’est ni Clemenceau ni Blum, pas Mendès-France, pas Pompidou, pas Mauroy (ancien secrétaire général du SNETAA), pas même Rocard… qui veut. J’observe, comme beaucoup, le règne de « l’entre soi » : des ultra-ultra-riches sortant des mêmes écoles, des mêmes arrondissements, des mêmes concours, tous passant à la télé en interchangeant leurs places sur les plateaux. Les oligarques russes doivent se marrer…

Sur l’enseignement professionnel, alors que la mobilisation du 12 décembre a été massive pour dénoncer une réforme coûteuse, inutile et nuisible, le conseil supérieur de l’éducation (CSE) réuni en ce début d’année, a été unanime pour rejeter la réforme Grandjean. Qu’à cela ne tienne : le gouvernement avance et s’essuie les pieds sur les personnels, les parents, les élèves, y compris les confédérations ouvrières et patronales ; l’arrêté est à la signature. Les établissements travaillent sur des grilles horaires et des dispositions qui ne sont même pas réglementaires en droit. Tout le monde s’en fout, on fait comme si. C’est l’émergence du droit dans le cloud. Avec l’aide d’alliés qui ont chouiné sur le départ de G. Attal du ministère de l’éducation nationale, bien sûr ! Pour encore mieux encadrer les protestations des personnels, ces alliés ont obtenu en échange un cabinet qui leur va bien : belle bataille remportée, chapeau bas ! Et les dindons de la farce ?

La réforme de l’enseignement professionnel va donc se faire. Elle coûte l’équivalent d’un CHU tout neuf (comme celui qui vient de sortir à Nantes) : 1 milliard d’euros. C’est énormissime ! 500 millions en gratifications pour les élèves quand il ne s’agit que de bourses détournées et 350 millions d’€ (un tour de passe-passe dans les écritures comptables du budget) pour la création de BDE. Ces nouveaux personnels sont majoritairement venus de l’extérieur de l’école, pour nous expliquer ce qu’est l’enseignement professionnel, ce qu’est une entreprise et comment travailler avec elle. On se marre quand notre partenaire privilégié est le premier employeur de France (commerçants, artisans, PME, PMI) ! Que les professeurs de lycée professionnel sont de fins connaisseurs de l’économie réelle tout autant que du profil de leurs élèves ! Ces pauvres BDE (bureau des entreprises) à qui il est demandé de révolutionner l’éducation nationale pour 1 600 à 2 000 € par mois. Quand AOC prenait de 35 000 à 100 000 € par mois (je dis bien par mois !) aux postes qu’elle méritait, bien sûr. Le « nouveau monde » a-t-il dit ?

Le président de la République, avec l’aide de C. Grandjean future ex-ministre de notre secteur, vient de tuer tout espoir, et pour longtemps, d’engager personnels, élèves et familles vers un cap ambitieux : participer activement à la réindustrialisation du pays, consolider nos diplômes, inventer ceux qui feront les métiers de demain, assurer une souveraineté du pays, augmenter la qualification des futurs salariés et citoyens. Mais aussi réformer pour que les élèves ne nous arrivent pas aussi cabossés en fin de troisième. Dans cet état, il nous faut ce génie du quotidien pour sortir du pétrin ces élèves et réussir massivement à en faire des Hommes, des Citoyens libres en conscience et des Travailleurs fiers du travail bien fait. 

En guise de programme, on nous propose « l’école à la papa » qui rejetait, dès la fin du CM2, tout un pan de la population, ceux là plus tard dénommés « sans dents », « ouvrières analphabètes » ou simplement « ceux qui ne sont rien ». Tout est dit !

Gabriel Attal n’a jamais reçu le SNETAA pour écouter, discuter, négocier avec le premier syndicat du secteur. Jamais. Il est certes parfois plus confortable de recevoir des opposants, idiots-utiles car caricaturaux, que ceux qui savent de quoi ils parlent. La nouvelle ministre ne nous recevra pas à l’aune de son nouveau mentor. 

J’ose : rendez-nous Jean-Michel Blanquer, « ce responsable des dernières émeutes car il a organisé l’oisiveté » ! Rendez-nous Pap Ndiaye, « intellectuel nuancé qui a poussé les jeunes à s’habiller en kamis ou abaya ! ». 

Franchement ? 

Libre à chacun d’être le gogo de service, les professeurs recrutés à bac + 5 ont toutes les capacités pour ne pas développer un syndrome de Stockholm. Si besoin, une collègue psychologue clinicienne, grande professionnelle, officie au SNETAA au service des personnels, n’hésitez pas à la consulter ! 

Alors, point par point, nous allons démontrer que cette réforme est un gaspillage financier outrancier, qu’elle n’apportera pas une base minimale scolaire et culturelle aux élèves, qu’elle ne consolidera pas nos diplômes de l’enseignement professionnel. Redire qu’émanciper toute une jeunesse, comme promouvoir la laïcité, c’est le rôle de l’école pour faire une Nation plus forte et unie demain. 

Ce ne sera possible qu’en considérant les professeurs à la hauteur de leur mission, en leur donnant les moyens de réussir, avec des conditions de travail qui leur permettent d’oeuvrer pour une telle planification (oh là là le gros mot).

Puisque les journalistes se pâment tant devant le nouveau Premier ministre, je propose de remettre en place le certificat d’études en fin de CM2, de rétablir le bonnet d’âne, les coups de règle sur les doigts, les redoublements qui n’avaient quasi aucune efficience, la blouse grise… Tout cela, c’est certain, cela permettra de remettre du plomb dans nos chères petites têtes blondes ! 

S’il faut construire un enseignement conservateur, c’est pour mieux préparer les révolutionnaires de demain. Ils n’ont rien compris à Hannah Arendt. 

Alors nous allons encore vivre et subir l’échec cuisant de gens qui ne connaissent ni nos jeunes, ni nos diplômes ni nos partenaires commerçants, artisans, PME, PMI. Subir encore ceux qui bénéficient de la mondialisation heureuse pendant que les autres les regardent au travers des séries TV addictives ou sur les réseaux sociaux. 

Rien de mieux pour rendre le plus pacifiste d’entre nous, belliqueux. 

On va continuer à faire du syndicalisme. 

Sans lui. 

Sans elle. 

Sans eux. 

Un peu de patience et de persévérance, nous gagnerons pour nos jeunes, pour les professeurs de lycée professionnel et pour redonner de la fierté aux 12 millions de Français titulaires d’un diplôme de l’enseignement professionnel (CAP, BEP, BP, BMA, BP, BTS…) !

La messe n’est pas dite !

Dona nobis pacem.

*Niagara (groupe), « pendant que les champs brûlent », in Religion (Metronome, Polydor/Polygram), 1990, (censurée car considérée comme chanson subversive contre la guerre du Golf…)